L'histoire du nom des femmes au Québec

Par Hélène Bilodeau

Le nom des femmes

Le 8 mars, on célébrait la Journée internationale des droits des femmes. Cette journée n’est pas la fête des femmes, mais un rappel des luttes des femmes qui sont d’ailleurs malheureusement toujours d’actualité quelque part dans le monde.

Parmi les droits des femmes, il y a celui d’avoir sa propre identité, son propre nom. En effet, la coutume au Québec voulait que les femmes prennent automatiquement le nom de leur mari. Et pas que le nom de famille, leurs prénoms disparaissaient aussi. Par exemple, dans le journal La Frontière en 1953, on titrait « Mme R. Mercure décédée samedi », R pour Robert, le prénom de son mari.

Autre exemple, dans le livre de l’anniversaire du village de Roquemaure, on mentionnait le nom des présidentes du Cercle des fermières local. Pas un seul prénom féminin!

C’était convenu, on croyait que c’était depuis toujours et pourtant ça n’a pas toujours été le cas.

Noms de dames Fermières en 1958
Dans le livre du 25e anniversaire de la paroisse de Roquemaure en 1958.
Même pour un Cercle de Fermières, pas un seul prénom féminin!

 

En Nouvelle-France, les femmes avaient leur nom!

Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire, on rencontre des héroïnes de la Nouvelle-France, comme Marie Rollet. Première Européenne à s’être installée à Québec, elle était mariée avec Louis Hébert, qu’on qualifie souvent de premier colon canadien. Pourtant, quand on parle de Marie Rollet, on lui donne ses propres prénom et nom. Ce n’est pas madame Louis Hébert, ni encore madame Guillaume Hubou, du nom de son second mari, qui lui n’a pas été retenu par l’Histoire.

Et ce n’est pas parce que c’est une héroïne. Lorsque la cour convoque mon ancêtre Geneviève Longchamp, on ne l’appelle pas madame Bilodeau. De même, aux recensements de 1667 ou 1681, toutes les femmes ont leur propre nom.

Au Québec, dans les registres de naissances, mariages et sépultures, on indiquait toujours le prénom et le nom de baptême des femmes. Non pas parce que l’Église catholique qui tenait ces registres était favorable aux droits des femmes, mais plutôt pour faire le suivi des familles et éviter les mariages consanguins. Si on n’a pas le nom de famille original de la mère, comment trouver de qui elle est la cousine?

Après la Conquête

La coutume semble s’être installée après la Conquête, en même temps que l’érosion des droits des femmes. On sait que jusqu’aux années 1840 où seuls les propriétaires avaient le droit de vote, les veuves ou les filles qui avaient hérité de leur père avaient aussi le droit de vote, même si ce droit était transféré à leur époux si elles se mariaient. Dans L’Encyclopédie Canadienne, on cite l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique (qui crée le Canada) en 1967 : « ont droit au vote les sujets britanniques de sexe masculin, âgés de vingt et un ans accomplis et ayant feu et lieu. »

On ne repassera pas toute l’histoire, mais c’est aussi à partir de la fin du 19e siècle que les noms des femmes disparaissent. Au recensement de 1851 et 1861, on trouve les noms complets, par exemple celui de mon ancêtre François Marchand et Marie Carignan son épouse. Mais aux recensements de 1871, elle n’est plus que Marie, avec des guillemets indiquant qu’elle porte le nom de son époux et ça sera la même chose pour ses descendants aux recensements suivants. Il y a des petites exceptions, Josephte St-Laurent, veuve Cossette, à 82 ans, utilisait toujours son nom de baptême jusqu’en 1881.

Une longue éclipse avant le retour du nom des femmes

À partir des années 1960, les revendications féministes et les mouvements sociaux étaient importants. Les femmes étant de plus en plus présentes sur le marché du travail, elles avaient acquis des droits de propriété, des diplômes, recevaient des salaires à leur nom, possédaient des permis de conduire et cartes d’assurance-maladie.

Avec le divorce devenu légal en 1968, beaucoup de couples avaient mis fin à leur mariage et plusieurs avaient contracté une autre union. Alors qu’allait devenir l’identité de madame Jos Bleau après son divorce? Elle la garde jusqu’au prochain mari? Et si monsieur Bleau contracte aussi une seconde union, y aurait-il deux personnes portant le nom de madame Jos Bleau?

Ces contraintes pesaient sur les femmes, mais aussi sur la machine administrative de l’État qui a inclus le nom des femmes dans la réforme du Code civil de 1981.

Depuis ce temps, la loi prévoit que les époux conservent leurs noms de naissance respectifs une fois qu’ils sont mariés (article 393 du Code). Cette réforme a aussi permis aux femmes de transmettre leur nom de famille à leurs enfants. L’étiquette « enfant illégitime » a aussi été retirée pour les enfants nés en dehors du mariage.
 

Article paru dans le journal Ensemble pour bâtir, mars 2024.

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