Feuilles Branches

Par Lucie Mayrand

Depuis l’été dernier, j’aime bien écouter les émissions matinales de fin de semaine de Joël Le Bigot à la radio de Radio-Canada. Tout en prenant le temps de prendre un bon petit déjeuner, je rigole bien et je reçois, agréablement, une information réfléchie, analysée et commentée en plus. Et c’est justement à la suite des commentaires entendus le 29 octobre dernier sur la chronique du journaliste Pierre Foglia de La Presse que ma curiosité, en tant qu’enseignante, a été piquée. Le sujet en était le clientélisme dans les écoles. A ce moment-là, sans savoir précisément de quoi il s’agissait, j’avais une impression de déjà vu.

L’article La cliente a toujours raison décrivait comment une professeure d’université, chargée de cours, s’est fait retirer un groupe suite à la remise d’une pétition signée par sept étudiantes. Raison invoquée: omission de porter des petites culottes pendant son cours. Réaction de son employeur: aucune contestation des allégations des étudiantes; aucune tentative de dédramatisation de la situation ou d’appel à un peu de patience vu le dossier irréprochable de son employée; aucune convocation de la professeure pour recueillir sa version des faits; remplacement de l’enseignante. 

Par le biais de cette histoire plutôt sordide, l’auteur dénonçait “cette aberration qui sévit dans toutes les universités.. .comme dans la plupart des autres écoles qui n’ont plus d’élèves, elles ont des clients.”

L’histoire racontée, je l’ai reconnue. Le mot client, je l’entends depuis déjà un bout de temps dans mon milieu de travail. C’est vers la fin des années ‘90 que le terme clientèle, pour désigner nos élèves, s’est introduit dans le langage de mes directeurs et directrices où j’enseigne. Certains collègues et moi avions tenté de les corriger (déformation professionnelle!) et c’est à ce moment que nous avions appris qu’ils avaient décidé d’utiliser une nouvelle stratégie proposée par leur instance supérieure: l’approche-client. A l’époque, je n’avais pas vraiment réalisé l’impact qu’allaient avoir ces termes insidieux dans le monde de l’éducation. Aujourd’hui, j’ai bien peur que ce changement de vocabulaire ait détourné les dirigeants de leur mission initiale d’éducation. À mon avis, en choisissant de voir les élèves comme des consommateurs d’apprentissages, on met de côté la responsabilité éducative du développement des connaissances et de l’esprit critique des futurs citoyens de notre société.

Le clientélisme vs le rapport prof-élève

Le Petit Robert nous apprend que le clientélisme est un mot qui est apparu en 1972 pour désigner le fait de chercher à élargir son influence par des procédés démagogiques d’attribution de privilèges. De nos jours, le clientélisme, qui ne devrait s’adresser qu’au monde des affaires, se traduit par le client avant tout. Le regard que porte Pierre Foglia sur ce qui semble se passer de nos jours dans nos classes est le suivant. “L’éducation est devenue une marchandise comme le reste... le client (l’étudiant) a toujours raison et le vendeur (le prof) doit absolument satisfaire à ses exigences, sous peine d’une mauvaise évaluation, mauvaise réputation.” Et il ajoute: “C’est peu dire que le rapport d’autorité prof-étudiant a été remplacé par un rapport de séduction et de ruse.’’

Pour moi, le rapport prof-élève est d’abord et avant tout une relation basée sur la confiance. Cette dernière sert de fondement sur lequel vont s’ajouter la curiosité, la motivation, les apprentissages. Comment ne pas voir alors qu’on joue avec l’avenir de l’élève lorsqu’on le confond avec un client? Mon expérience m’apporte sans cesse la preuve de l’importance de cette relation qui n’a rien de mercantile. De plus, avec des élèves en difficultés d’apprentissage, la réussite ou l’échec en dépend.

Le clientélisme vs la relève enseignante

Oserais-je faire un lien entre l’application d’un certain clientélisme dans nos écoles et le manque de relève enseignante? Combiné au dénigrement de la profession exercé par nos divers gouvernements provinciaux depuis belle lurette, sans parler de la loi spéciale décrétée juste avant Noël et de la précarité d’emploi, ce noble métier peut ne plus sembler alléchant par les temps qui courent. Pourra-t-on encore longtemps le qualifier de noble? Car voir l’élève comme un client c’est, par ricochet, considérer l’enseignant comme un vendeur. Donc, les 4 années universitaires seraient en fait 4 ans de formation de vendeur... A quoi bon investir dans de longues études d’une profession qu’une société ne veut plus reconnaître comme importante et essentielle? J’exagère à peine.

Le clientélisme vs le décrochage et la violence

Irais-je réellement trop loin en établissant ce lien avec les problèmes de décrochage des élèves et de certains enseignants, de violence verbale et physique envers d’autres élèves et de plus en plus d’enseignants ainsi qu’avec diverses formes de harcèlement qui perdurent, malgré les réformes à répétition implantées depuis les années ‘80?

Comme l’explique si bien M. Foglia dans son article, le client-roi ne peut tolérer qu’on lui applique une discipline. “On ne dit pas chut à un client qui vient acheter de la marchandise. Si vous lui dites chut, ni une, ni deux, il va aller se plaindre au service à la clientèle.”

Le clientélisme et le souci de performance

Cependant, si on se place du côté des parents de ces élèves qui endossent le principe qui fait de leurs enfants des clients dans leur école, il n’est pas surprenant que, pour eux, leur progéniture semble faire preuve d’autonomie, et qu’elle ne s’en laisse pas imposer? C’est probablement ce genre de réaction qui conforte la direction d’une école qui applique le principe du clientélisme. Elle croit qu’elle résout les problèmes quand en fait, elle ne fait que réagir. 

Malheureusement, en réagissant en chef d’entreprise plutôt qu’en directeur d’institution d’éducation, on s’éloigne de la mission première. On devient centré sur la mesure de l’efficacité et de la performance de notre institution. On est rassuré par ce qu’on peut mesurer et on ne comprend plus ce qui n’est pas mesurable. Et s’il existe un lieu où pullule le non-quantifiable, c’est bien dans une école!

Est-ce que le Palmarès des écoles publié dans la revue L’Actualité pèserait lourd dans la balance? Il représente la compétitivité, notion concrétisée dans le milieu de l’éducation par l’ex-ministre de l’éducation péquiste François Legault qui était lui-même issu d’un autre milieu, celui des affaires. Tiens donc!

À l’époque, je ne pouvais imaginer qu’on confondrait à ce point des notions de milieux si diamétralement opposés. Aujourd’hui, je souhaite que l’on se rende compte qu’il est temps de corriger la situation.

 
Article paru dans le journal Ensemble pour bâtir, février 2006.

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